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Discographie

Nocturne (à paraître le 09 février 2021 chez Heavenly Sweetness)

En compagnie des maîtres Vincent Segal au violoncelle, Ballaké Sissoko à la kora et Roger Raspail aux percussions, le chanteur-guitariste, aventurier de la créolité, David Walters livre Nocturne : une méditation en clair-obscur, un voyage teinté de mélancolie, un feu sacré à l’infinie douceur.

La nuit brouille les pistes. Elle favorise le feu, le jeu de rencontres incandescentes. Dans ce Nocturne de douceur et de délicatesse, un violoncelle tourbillonnant aux inflexions classiques et nomades s’emmêle aux notes en pluie délicate de la kora, au folk d’une guitare, au tambour ka et à sa cohorte d’esprits. Sur les instruments, surfent des chansons en créole antillais portées par des mélodies qui chaloupent. Ici, les territoires se brouillent. Le Mali épouse les contours de la Guadeloupe, de la Martinique… Mais au fond, qu’importe ? La musique résonne neuve, toujours mouvante, vécue au présent, forgée par l’amour conjugué de quatre musiciens, quatre humains, qui (s’)offrent leurs sons et leurs héritages en partage, sans frontière, le cœur grand ouvert. 

L’idée de cette réunion de maîtres, de ce trio « all stars » –  le violoncelliste Vincent Segal, le joueur de kora Ballaké Sissoko, le percussionniste guadeloupéen Roger Raspail – germe dans l’esprit de David Walters à la faveur d’un temps suspendu. En pleine promotion de son disque Soley Kréyol, sorti début 2020, au démarrage d’une tournée sur les chapeaux de roue, le chanteur tout-terrain, globe-singer et aventurier de la créolité se voit soumis, comme la France entière, à ce « grand coup de frein ». « Juste avant le confinement, j’étais à bloc, sur un tempo magique, confie-t-il. D’un coup, je me retrouve enfermé chez moi, avec de l’énergie à ne plus savoir qu’en faire : une boule de feu dans une cage ». Passés les premiers temps, où l’artiste multiplie les livestream, il se retranche ensuite vers l’essentiel. À sa guitare, pudique, il murmure ses secrets, cisèle sur ses cordes de nouvelles chansons, comme des témoignages, sortis du ventre, du temps traversé et de ce repli sur soi. 

Entre deux sessions de musique, il appelle ses amis, dont Vincent Segal, son « mentor ». Le confinement favorise les aveux. Au fil d’une discussion, David assume son rêve : « Tu sais, Vincent, un jour, j’adorerais qu’on réalise un disque ensemble, spontané, brut, pas surproduit. Et, surtout, j’aimerais qu’on invite Ballaké. » Car, parmi ses disques de chevet, de ceux qui l’apaisent et remettent ses compteurs à zéro, aux côtés des Nocturnes de Chopin, et du duo Ali Farka Touré/Toumani Diabaté, Walters cite le précieux Chamber Music, signé Ballaké Sissoko/Vincent Segal.

Confiez votre rêve au violoncelliste, et il serait bien capable de le réaliser. Voire de renchérir. À David, Vincent répond simplement : « Alors, on le fait ! Et ce qui serait encore plus dingue serait d’inviter Roger Raspail ». Tout un symbole pour David : un « maître » des tambours, un « ancien » des Antilles… Quelques coups de téléphone suffisent et voici le rendez-vous pris, pour une séance d’enregistrement, fixée juste après le confinement. 

Pour David Walters, la pression monte. Il lui reste (encore) tous les morceaux à composer. Il s’isole une dizaine de jours dans une cabane près de l’Océan. Là, dans un état d’esprit méditatif, inspiré par l’immensité de la mer et la danse des vagues, il crée ses chansons. Au creux de ses rimes, il rend hommage à Manu Dibango (Papa Kossa), emporté par le coronavirus ; convoque Fela Kuti et sa célèbre maxime « Music is the weapon » (Freedom) ; raconte ce bateau-refuge qu’il loue chaque été (Carioca) ; aspire à davantage d’autonomie pour les peuples africains et caribéens (Sam Cook di), ou tâche d’apaiser en musique, ce léger vent de panique qui a soufflé sur son foyer à l’annonce du confinement (Baby Go). Et puis, sur Vancé, il décrit cet étrange moment, entre doute et confiance, au milieu du chaos : là-bas, la perspective d’un horizon.  « Je n’ai composé que des morceaux très connectés à mes paysages intérieur, explique-t-il. Il n’y avait pas la moindre volonté d’effet, ou de désir de séduction… J’étais démuni, à poil : seules ma voix et ma guitare ». Avec Vincent, deux jours durant, il élabore l’architecture des chansons.

Et voici les trois jours d’enregistrement tant attendus. Roger Raspail a écouté quelques patterns. Ballaké, lui, préfère débarquer l’oreille vierge. Et Vincent a fixé cette règle : « enregistrer sans clic, sans casque, sans électronique. » Sacré défi. « Dans une ambiance de proximité, comme au coin d’un feu, nous étions dans une écoute absolue les uns des autres : une osmose, une harmonie incroyable », s’émeut David. Roger Raspail reconnaît, dans le challenge et l’aventure, l’immense complexité des choses simples. Vincent Segal parle d’une « session de jazz » comme un miracle, jamais reproductible : la photographie d’un instant. Ballaké s’adapte, heureux, déroule ses notes en accalmie. Tous jouent à feu doux, tranquillement, aux aguets les uns des autres. Et la magie surgit : un nouveau monde arpenté à quatre, au fil d’un voyage comme une communion. Sur leurs pistes, une intense mélancolie se fait jour, tout comme une infinie douceur. « Nocturne résonne avec notre époque, conclut David. Un subtil mélange de pudeur, de tristesse, d’espoir. Un secret partagé. Une grande joie intérieure… Un feu sacré. »

Anne-Laure Lemancel