Pedro Soler & Gaspar Claus

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CONCERTS

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Discographie

Al Viento – Infiné 2016

Barlande – Infiné 2011

En 2011, le violoncelliste Gaspar Claus emmène son père, le guitariste de Flamenco Pedro Soler, à New-York. Tous les deux y enregistrent « Barlande » sous la houlette de Bryce Dessner (membre de The National, compositeur). A la source de ce voyage, il y a le désir légitime de croiser le fer avec papa, de tendre une main à travers les générations mais surtout cette intuition géniale qu’en déplaçant le geste fondamentalement rural et la poétique immémoriale de son père dans le brouhaha d’un continent jeune, il trouvera peut-être matière à éclairer ce qui unit sa propre pratique des musiques dites libres et nouvelles à celle en apparence plus archaïque, de son paternel. Bien vu: l’Amérique qu’on peut considérer comme l’un des grands berceaux de la modernité, résonne de spectres (Charles Ives, le Jazz et le Minimalisme, le Rock’n’Roll le plus juteux…) qui couvent depuis toujours sans savoir et bien qu’autrement formulés, dans la rage savante du Flamenco.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est opérant: la presse acclame ce disque de flamenco contemplatif où tout est lumineux, émouvant, aussi serein que turbulent et le public est au rendezvous de concerts dont le lyrisme contenu, la virtuosité, la pudeur et l’entente quasi télépathique des deux musiciens effacent les frontières, annulent les clivages et bouleversent durablement l’auditeur.

On a beaucoup célébré cette collaboration comme la rencontre réussie de deux genres antagonistes mais c’est bien plutôt cet intransigeant rappel que bat ici le duo: le Flamenco est moins un vocabulaire codifié qu’un usage nomade du monde et des passions.
Leur nouvel album « Al Viento », ébauché en terres islandaises, au studio Greenhouse en compagnie de Valgeir Sigurösson, puis terminé en Espagne avec Didier Richard enfonce le clou. Belle idée encore une fois que d’aller traquer sur un territoire ancestral, de glace et de feu, ce qui pourrait résonner avec l’osseuse et solaire Andalousie primitive (reformulation simple comme bonjour de cet adage indiscutable que, toujours, les extrêmes se touchent).

Se choisissant comme sainte patronne le personnage de la Petenera, “figure maudite de l’Andalousie, qui a inspiré Federico García Lorca et effraye encore les anciens, semeuse de chaos, parce que son amour, trop pur, fut blessé”, les deux contrebandiers convient à leur fête sanglante le chanteur Matt Elliot à venir psalmodier sur un titre tandis que le guitariste Serge Teyssot-Gay y remet discrètement une couche de textures ombrageuses et de distorsions radioactives entre les lignes stridentes, les dissonances, percussions et glissandi vertigineux que Gaspar tire d’un violoncelle hanté par les voix des plus terribles cantaores (qu’il convoque plus qu’il ne s’y substitue). Danses folkloriques, airs traditionnels, sont réinvestis d’un bout à l’autre de compositions plus furieuses, plus coupantes que « Barlande » ne le laissait entrevoir.
Et le Flamenco de nous apparaitre, une fois de plus, à nous qui n’y connaissions pas grand-chose, comme une éclatante musique d’arrachement et de science obscure, dont la douleur exprimée comme un éboulis d’équations impossibles galvanise et se retourne en joie féroce, dans la fureur du bois martelé, dans le grondement des cordes et la gestion des silences, dans la rythmique du sang, l’audace harmonique et le bruyant amour de se tenir debout. Les soupirs, emportements, fléchissements, élisions et surgissements de vacarme dont le violoncelle de Claus croche la matière paternelle mettent à jour une fois de mieux cette improbable et pourtant minérale vérité: ces deux-là, le père et le fils, s’ils ne jouaient depuis le début tout à fait la même musique, peignaient en tout cas le même paysage.