CONCERTS

30/03/2024
Clichey sous Bois (F) -

Discographie

2022 : Bokonzi

2018 : Mutu Wa Ngozi

Qui est donc ce super-héros, cape rouge et lunettes « multi-vision » perforées, qui hante les rêves d’une cité parmi les plus chaotiques et créatives du monde : Kinshasa, capitale de la RD Congo ? Ce prophète post- moderne qui chevauche sa musique pour voyager à travers le monde s’appelle Wilfried Beki, alias Lova Lova, ou encore…. « Maître Tonnerre ». Il s’apprête à publier un nouvel EP, Bokonzi, encore plus fou que les deux qui l’ont précédé. Condensé de punk, de rap et d’électro, il a été produit par Benjamin Lebeau entre la France et le Congo, et pétri des sons tout droit sortis du ghetto : l’univers de prédilection de Wilfried Beki qui, bien avant d’en devenir le héraut, en connut les implacables réalités.

Car on ne se retrouve pas dans la rue sans raison. Lui n’a que dix ans quand il apprend, par une rumeur de rue justement, qu’il est orphelin et que ceux qui jusqu’ici l’ont élevé ne sont pas ses parents, mais son grand-père et sa grand-mère. Fou de rage qu’on lui ait caché la vérité, il fugue dans la rue, suivant les bandes de shégués, les enfants des rues qui ont la capitale pour terrain de jeu, de chasse, et surtout de survie. La première chanson qu’il enregistre s’appelle Lova Lova, en hommage à cette mère qu’il n’a jamais connue. Et le nom du morceau devient aussi le nom de son projet artistique.

Dans les délires poétiques et souvent politiques de celui qui raconte les contrastes criants de la vie à Kinshasa, on retrouve l’imaginaire de la rue et de ceux qui y vivent. Ce nouvel EP, Bokonzi, en est aussi cousu. Pour lui donner vie, le compositeur et producteur Benjamin Lebeau (The Shoes, Miossec, Clara Luciani, Grand Corps Malade) a suivi Lova Lova à Kinshasa, tous micros ouverts, captant non seulement les ambiances de rue, de marché, mais aussi une jante déglinguée qui sera métamorphosé en caisse claire, du sable qui fera office de cymbale charley, sans oublier les riffs de guitare de Kabesolo, ami de toujours du chanteur. « La première fois que j’ai posé mes Shoes sur la route de Kinshasa, raconte Lebeau, ça sentait l’accident. Comme si Screamin’ Jay Hawkins était au volant d’une cylindrée

américaine avec Fela Kuti comme poteau et co-pilote, percutant les Stranglers en side car, qui écoutaient Sonic Youth et Gesaffelstein. J’avais pris mes micros avec moi, et j’ai enregistré des âmes et leur poussière. Et ça donne ça… »

Bokonzi, « le pouvoir », ne porte pas que la signature sonore de la ville. Il en charrie aussi les histoires, chantées, psalmodiées ou rappées par le Maître Tonnerre, qui passe de la fable aux mots les plus crus pour évoquer la réalité toute nue. Comme sur le single « Mambu » (les problèmes) où, sur un rythme échevelé, Lova Lova s’emporte : « vous voyez les enfants qui dorment dans les rues, qui vont pas à l’école… et ceux qui vont à l’école mais qui mangent pas putain ! » terminant ce coup de gueule dans un cri qui est tout autant révolte que chagrin. « Lolita » prend le parti de ces filles qui, parce qu’elles avaient décidé de ne plus porter de soutien- gorge, furent pourchassées par la police il y a quelques années. Ce n’est pas de ma faute si je suis belle, mais ma liberté vous fait peur – dit en résumé la chanson en duo avec l’actrice espagnole Natascha Wiese ! « Bana Mabe » – les enfants de mauvaise vie – dénonce l’hypocrisie de ceux qui montrent du doigt les shégués, les petits bandits, les mendiants et tous les autres pour lesquels Wilfried a gardé sa sympathie. Quant à la chanson « Marcel », sur un air de disco, elle rend hommage au grand-père du jeune homme, disparu en janvier 2022, avec lequel Lova Lova finit par entretenir une sincère et authentique complicité.

Maître Tonnerre, Homme des Rêves, Lova Lova : quel que soit son avatar et le costume qu’il revêt, c’est bien cette sincérité de l’artiste, fidèle à lui-même et toujours entier, qui lui permet de s’aventurer entre les styles et qui, du Printemps de Bourges aux Transmusicales de Rennes, ensorcelle tous les publics. Ce n’est qu’un début : ouvrez grand vos oreilles, et laissez-vous hanter.